Acheter un bien occupé — c’est-à-dire avec un locataire en place — peut être une très bonne affaire pour un investisseur. Prix d’acquisition décoté, revenus locatifs immédiats, risque de vacance réduit… les atouts sont réels. Mais l’opération obéit à des règles juridiques précises et cache des pièges qui peuvent rogner la rentabilité si l’on ne sécurise pas le dossier dès l’amont. Voici un guide pratique, sourcé et à jour, pour décider en connaissance de cause.
Les vraies opportunités d’un achat « vendu loué »
1. Une décote à l’achat (souvent) négociable
Les biens vendus occupés se négocient généralement en dessous des biens libres. Selon plusieurs observatoires et acteurs du marché, l’amplitude de la décote dépend surtout du temps restant au bail, du niveau de loyer par rapport au marché, du type de bail (vide/meublé) et du profil du locataire. Des fourchettes usuelles de 5 % à 30 % sont citées, avec des cas typiques : bail proche de l’échéance (décote faible, parfois 5–10 %), bail meublé très récent ou loyer très en dessous du marché (décote plus forte).
2. Des loyers qui tombent dès le jour 1
Vous encaissez des revenus locatifs immédiatement après signature, ce qui réduit la vacance locative et participe au service de la mensualité de crédit. Pour la gestion du flux, rappelez-vous que le nouveau propriétaire doit communiquer ses coordonnées au locataire (identité, adresse, RIB/mandataire) ; le bail se poursuit aux mêmes conditions avec l’acquéreur.
3. Un risque locatif souvent mieux connu
Dossier locataire existant, quittances et historique d’impayés (ou d’absence d’impayés) : autant d’éléments concrets pour apprécier la qualité du risque. C’est un avantage face à un achat libre où la commercialisation et la sélection du futur locataire restent incertaines.
Les pièges juridiques à éviter (et comment les contourner)
1. Le bail s’impose à vous, point.
En location vide, la durée minimale est 3 ans si le bailleur est un particulier (6 ans si personne morale). En meublé, c’est 1 an (ou 9 mois pour un étudiant), et le bail se renouvelle automatiquement sauf congé régulier. Vous ne pouvez pas modifier unilatéralement le loyer ou les charges en cours de bail, hormis une indexation prévue au contrat (IRL).
2. Donner congé après l’achat : délais spéciaux parfois méconnus
Si vous rachetez pour revendre libre (congé pour vente) ou reprendre pour habiter (congé pour reprise), des délais protecteurs existent :
- Congé pour vente (logement vide): si l’échéance du bail intervient moins de 3 ans après l’achat, votre congé ne peut prendre effet qu’au terme du bail renouvelé (autrement dit, il faut attendre la première reconduction). Préavis au locataire : 6 mois avant l’échéance.
- Congé pour reprise (logement vide): si l’échéance du bail intervient moins de 2 ans après l’achat, le congé ne peut prendre effet qu’au terme d’un délai de 2 ans à compter de l’acquisition. Préavis : 6 mois avant l’échéance.
En meublé, le préavis délivré par le bailleur est de 3 mois avant l’échéance annuelle. (En pratique, on sécurise la date d’effet au moins 3 mois avant la date anniversaire du bail meublé).
3. Le cas du locataire « protégé »
Si le locataire a 65 ans ou plus (à la fin du bail) et des ressources modestes, un congé pour vente ou reprise n’est valideque si vous proposez un relogement adapté à proximité (sauf exceptions prévues par la loi, par ex. bailleur lui-même âgé et à faibles ressources). À vérifier absolument avant d’acheter.
4. Dépôt de garantie : qui rembourse ?
À la fin de la location, c’est le nouveau bailleur (vous) qui est juridiquement tenu de restituer le dépôt de garantie au locataire. Prévoyez contractuellement dans l’acte de vente la cession du dépôt par le vendeur (ou une compensation prix) pour éviter un « trou » de trésorerie.
5. Encadrement et révision des loyers
Dans les zones soumises à encadrement des loyers, le plafond s’impose lors du renouvellement ou d’une relocation ; en cours de bail, seule la révision annuelle prévue par clause IRL est possible. Anticipez l’impact sur le rendement futur.
Tableau comparatif — Règles clés selon le type de bail et votre objectif
Sujet | Location vide (résidence principale) | Location meublée (résidence principale) |
Durée du bail | 3 ans (particulier) / 6 ans (pers. morale) | 1 an (auto-renouvelable), 9 mois étudiant |
Préavis si congé du bailleur | 6 mois avant l’échéance | 3 mois avant l’échéance |
Vente occupée (congé pour vente) | Si l’échéance < 3 ans après achat, effet du congé au 1er renouvellement | N/A (règle propre au vide) |
Reprise pour habiter (après achat) | Si l’échéance < 2 ans après achat, congé effet après 2 ans | Préavis 3 mois (échéance annuelle) |
Droit de préemption du locataire | Oui uniquement en cas de congé pour vendre (vente libre) ; pas de préemption si vente occupée | Idem principe |
Dépôt de garantie — qui restitue ? | Le nouveau bailleur (acquéreur) | Le nouveau bailleur |
Combien vaut la décote d’un bien vendu loué ?
Indications de marché (à manier comme des ordres de grandeur, pas comme une règle absolue).
Situation observée | Décote indicative | Commentaires |
Bail vide, échéance < 12 mois | 5 % – 10 % | Visibilité de libération proche → décote modérée. |
Bail vide, bail récent (reste > 24–36 mois) | 10 % – 15 %(parfois +) | Délai de libération plus lointain, loyer parfois sous le marché. |
Meublé très récent avec loyer bas | jusqu’à ~30 % (cas extrêmes) | Durée courte mais contrat défavorable → forte négociation possible. |
Plage générale citée par les acteurs | 5 % – 30 % | Large fourchette selon bail restant, loyer vs marché, type de bail, profil. |
À retenir : la valeur locative réelle (loyer vs loyer de marché) et le temps restant au bail sont les deux curseurs principaux. Plus la libération est proche et le loyer « dans les clous », plus la décote s’amenuise.
Check-list due diligence avant d’offrir
- Contrat de bail signé + états des lieux entrée/sortie et inventaire (si meublé).
- Quittances des 12 derniers mois + attestation d’absence d’impayés de l’administrateur de biens.
- Montant du dépôt de garantie et modalités de cession au prix (clause à insérer dans l’acte).
- Diagnostics (DPE, amiante/plomb, électricité/gaz, ERP, etc.).
- Encadrement des loyers applicable et clause d’indexation (IRL) — vérifiez l’historique de révision.
- Échéancier réaliste si votre projet est d’occuper ou de revendre libre : anticipez les délais 2 ans / 3 ans ci-dessus.
- Coordonnées du nouveau bailleur à notifier au locataire post-acquisition (identité, adresse, RIB).
Stratégies gagnantes pour un achat occupé
1) Acheteur investisseur long terme : sécurisez le cash-flow
- Ajustez votre prix cible en fonction de la décote théorique et du risque locatif (ancienneté du bail, solvabilité, loyer vs marché).
- Vérifiez la révision IRL dans le bail : une clause non appliquée depuis plus d’un an n’est plus rattrapable rétroactivement.
- En zone d’encadrement, projetez le loyer plafond au prochain renouvellement pour mesurer votre rendement futur.
2) Acheteur qui veut occuper à terme : maîtrisez le calendrier
- En vide, si l’échéance du bail est proche : vous pourrez viser un congé pour reprise ou pour vendre à la prochaine échéance, en respectant les délais spéciaux (2 ans/3 ans selon le motif).
- En meublé, le préavis bailleur est de 3 mois ; cela offre plus d’agilité, mais vérifiez si le locataire n’est pas étudiant (9 mois) ou sous bail mobilité (1–10 mois) qui ne se reconduit pas.
- Cas locataire protégé : si la condition d’âge/ressources est remplie, préparez un relogement ou renoncez au projet d’occupation.
3) Négociation et rédaction de l’acte : verrouillez les clauses
- Cession du dépôt de garantie (montant et transfert effectif).
- État des loyers et charges à jour (annexez la dernière quittance).
- Répartition prorata temporis loyers/charges/jour de signature ; notification au locataire du changement de propriétaire.
- Si gestion déléguée, cession du mandat (ou résiliation/renouvellement au choix).
Foire aux questions express
Le locataire a-t-il un droit de préemption si je rachète occupé ?
Non, le droit de préemption s’ouvre lors d’un congé pour vendre (vous vendez libre), pas en cas de vente occupéeavec maintien du bail.
Puis-je augmenter le loyer après achat ?
Pas en dehors de la révision IRL prévue au bail. Le reste se traite au renouvellement (et sous encadrement s’il s’applique).
Qui rend le dépôt de garantie au départ du locataire ?
Le nouveau bailleur (vous). Prévoir le transfert par le vendeur à la signature.
Conclusion : une bonne affaire… si elle est préparée
Acheter un bien occupé peut booster votre rendement grâce à une décote d’entrée et à des revenus immédiats. À condition de maîtriser les règles (durées et congés, cas de locataire protégé, IRL/encadrement, dépôt de garantie) et de documenter chaque point du dossier. En pratique, calculez votre prix cible à partir d’une décote argumentée (bail restant, loyer vs marché, meublé/vide), sécurisez l’acte (clauses indispensables) et construisez un calendrier juridique réaliste si vous souhaitez occuper ou revendre libre. C’est cette méthode qui transforme un simple « vendu loué » en excellente opportunité patrimoniale.